Après deux mois de mobilisations, pour certains dans les rues tous les samedis, pour d’autres sur les ronds-points, tous les jours et sans relâche, le mouvement des gilets jaunes a semble-t-il montré toute sa ténacité et son endurance. D’aucun aurait pu croire qu’avec les fêtes et les vacances, la mobilisation s’essoufflerait : que nenni ! Les gilets jaunes tiennent bon. Et pour cause ! La lutte a largement débordé de son cadre politique et institutionnel : il ne s’agit pas là de descendre dans la rue quelques heures bien gentiment puis de rentrer chez soi et poursuivre sa vie comme si nous avions « fait notre part du job ». Non, les gens ont trouvé chez les gilets jaunes une famille, peut-être le lien social qui leur manquait pour pallier la solitude que l’on éprouve quand on fait partie des « exclus », des « marginaux ». Les oubliés, les invisibles : ils se rassemblent de façon inédite et se découvrent nombreux. Et ça, ça donne espoir, ça redonne du courage, de la force pour affronter les problèmes du quotidien et décider de ne plus se laisser marcher sur les pieds. Seuls on ne pouvait rien, mais maintenant au sein du collectif, du rond-point animé, des cortèges, des violences et de la médiatisation hors-norme, on se dit que les choses peuvent vraiment changer : on se met à y croire.
Alors certes on va se dire que les mots d’ordre et les revendications sont loin de ce que réclame la décroissance : après tout, le mouvement n’a-t-il pas démarré par la hausse des taxes sur le carburant ? Quoi de moins « écolo », quand on sait qu’un monde soutenable pour l’humanité doit passer nécessairement par une réduction du trafic automobile et ce de façon urgente ? Mais en vérité la question n’est pas là. Ce qu’il est urgent de faire savoir c’est que ce ne sont pas aux pauvres de payer la transition énergétique or il s’avère que les personnes pour qui la voiture est un outil de travail du quotidien sont souvent en situation de précarité, vivent en zone rurale ou en périphérie urbaine, et sont déjà fragilisés par la perte de tous les services publics qui sévit dans ces espaces géographiques. « Et, en plus, c’est à moi de payer pour financer les énergies durables ? » Bah non. Quand on a déjà du mal à finir le mois ça suffit comme ça. Le problème de réchauffement climatique global ne trouvera aucune porte de sortie individualiste, le citoyen ne participera pas à la mascarade du « pollueur/payeur » car celles qui polluent en premier lieu ce sont les industries, alors on se demande bien pourquoi on n’attaque pas par ça, avant d’aller chercher dans les poches de ceux qui n’ont déjà pas beaucoup. Chacun doit faire sa part d’efforts ? Alors, que les riches paient, que les entreprises du CAC40 paient, que les actionnaires paient, que tout le monde y mette du sien, mais ne venez pas demander aux gens qui galèrent de faire des efforts, l’hypocrisie organisée s’arrête là.
Ce mouvement nous offre une formidable opportunité : celle de discuter, échanger, débattre avec des gens qu’on ne rencontre pas en manif, qui sortent de notre entre-soi militant dont on connait les convictions et qui partagent les mêmes idées que nous. Avec les gilets jaunes, on peut parler de décroissance sans prêcher des convaincus. Ça ne leur dira peut-être rien, car eux tiennent à leur pouvoir d’achat et se sentent consommateurs, là où nous défendons un modèle de décroissance global qui mette fin à la marchandisation et au consumérisme. Mais si nous ne tendons la main qu’à ceux qui partagent nos idées, nous sommes probablement très loin de faire aboutir quoique ce soit. Nous risquons même de créer une jolie (et minuscule ?) ronde qui se tient la main et tourne toute seule, en roue libre, loin du reste. Au contraire, il faut saisir ces moments pour comprendre les préoccupations des gens et leurs origines : d’où naît ce besoin qui semble si précieux d’avoir du pouvoir d’achat ?
Ce ne sont pas aux gilets jaunes de venir à nous, ce ne sont pas à eux de rejoindre les manifestations pour le climat, car eux sont mobilisés tous les jours depuis 2 mois : quel écolo, quel décroissant, pourrait se targuer d’en avoir fait autant pour défendre ses convictions ? Ils ne sont pas contre nous, je pense même qu’ils sont réceptifs aux idées de la décroissance pour peu qu’on mette de côté mépris et condescendance et qu’on arrête de voir en eux des « prolos FN sans jugeote » ou pire « des pauvres sans diplômes envers qui on n’a pas fait assez de pédagogie». Alors, à quand une décroissance en jaune ?
Le constat, après 10 semaines de mobilisation n’est pas très flatteur pour nombre de mouvements qui se prétendent à gauche. La FI a mis une bonne dizaine de jours à commencer à comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement réactionnaire. Les Verts pour certains, se sont montrés, au contraire, ouvertement réactionnaires et conservateurs. Quant aux objecteurs de croissance, perdus dans leurs limbes intellectuelles, ils ont du mal à trouver la mesure juste et à descendre de leur glorieux piédestal pour se mêler avec la populace. Le texte que je commente est d’ailleurs tout extérieur au mouvement, vu d’une distance.
OK pour le début du commentaire mais la dernière phrase ne colle pas à la réalité.