Présentation politique des (f)Estives 2018

La décroissance est souvent présentée comme une variante politiquement radicale de l’écologie ;  ce n’est pas faux car, en effet, il faut sans cesse rappeler qu’une croissance infinie dans une planète finie est (physiquement) impossible, (écologiquement) insoutenable, (socialement) injuste et indécente.

Mais la décroissance ne peut pas se réduire à cette « écologie radicale » : car ce serait tout bonnement oublier que, un jour, l’Humanité aura depuis bien longtemps disparue quand la Nature continuera encore d’exister. La première des limites qu’il nous faut assumer n’est-elle pas la mort, celle qui marquera la fin de nos vies singulières comme celle de l’espèce à laquelle nous appartenons ?

C’est en ce sens que l’an dernier les (f)estives de la décroissance affirmait que « le sens de la vie est une question politique ».

La critique radicale de l’individualisme se poursuit cette année : le sens de la technique est une question politique. Cette question est aussi vaste et ambitieuse que celle de l’an dernier mais avec une très grande différence : au moment de la traiter, les décroissants peuvent déjà s’appuyer sur de prestigieuses références 1 : Günther Anders, Hannah Arendt, Bernard Charbonneau, Jacques Ellul, Ivan Illich, Lewis Mumford… Mais, aussitôt, comment ne pas constater que de si belles et lucides œuvres n’ont jamais politiquement débouché que sur… rien. C’est ainsi que la lecture de ces auteurs est à la fois totalement motivante – quel bonheur intellectuel de partager de telles visions d’ensemble –  et démobilisante : si ces textes qui ont été écrits quand il était peut-être encore temps d’intervenir dans l’époque n’ont rien donné, pourquoi aujourd’hui les relire, pourquoi la lucidité d’aujourd’hui serait plus « performante » que celle d’hier ?

Voilà l’un des défis politiques que ces (f)Estives 2018 de la décroissance vont devoir relever. Concrètement, cela va impliquer de poursuivre dans la voie méthodologique entamée en 2017 : a/ Plus question en effet de critiquer une société qui juxtapose les individus après les avoir séparés en invitant à une tribune une brochette d’invités qui vont juxtaposer leur interventions : l’an dernier, Onofrio Romano a offert à chaque participant la cohérence d’une vision systémique et critique de la décroissance, cette année, ce sera Philippe Gruca. b/ Ces trois jours de rencontres devront aboutir à formuler des propositions concrètes : modes de vie, éléments de langage (constitution d’un lexique commun), accepter des clivages et des identifications (pour co-construire un  fond de radicalité politique), actions (parce que réfléchir sans agir, c’est rêver, et agir sans réfléchir, c’est le cauchemar), revendications (les plus « belles » et « utopiques » possible).

« Le sens de la technique est une question politique » ; beaucoup plus qu’un programme ou un slogan, il y a là un projet que nous tenterons d’explorer pendant ces trois jours de (f)estives de la décroissance. Pas n’importe comment mais en nous repérant à partir d’axes explicites de questionnement 2 qui sont autant d’enjeux politiques de la question technique :

  • L’utilité de la technique n’est-elle qu’une fable ?
  • L’emprise technologique fait-elle peser une menace totalitaire ?
  • Jusqu’à quel point tout progrès technique accélère-t-il l’effondrement de la socialité ?
  • Le remplacement de la relation à la Nature par la dépendance à la Mégamachine est-il devenu inéluctable ?
  • A l’époque 3.0 du numérique, pourquoi notre cybersociété en disruption permanente a-t-elle à ce point besoin de cultiver le narcissisme des individus (7 heures en moyenne devant un écran) ?

Dans quelle mesure, donc, l’hyper-capacité de la technique à avoir réponse à tout permet-elle encore de poser des questions politiques : bien sûr la question sociale, celle de la misère dans une société d’opulence ; bien sûr la question écologique, celle des valeurs que nous devons accorder à la Nature en nous apercevant que ce seront les mêmes qui nous permettront de conserver notre… humanité ; mais surtout la question politique aujourd’hui oubliée : Quelle place l’individu pourrait trouver dans une société qui serait vraiment « sociale » et qui, pour redéfinir la « démocratie », ferait de l’entretien et de la protection permanentes de la « volonté générale » un objectif explicite de son organisation politique ?

Nous proposons d’ores et déjà quelques extraits pour s’orienter dans nos pensées :

« Ce deuxième tome de L’obsolescence de l’homme est, tout comme le premier, une philosophie de la technique… Nous ne pouvons plus dire que la technique est l’un des éléments constitutifs de notre situation historique. Il nous faut dire plutôt : dans l’état du monde dit « technique », le procès de l’histoire continue, mais c’est la technique, à côté de laquelle nous ne sommes plus désormais que des êtres « co-historiques », qui en est devenue le Sujet », Günther Anders, Préface au tome 2 de L’obsolescence de l’homme (2002).

« L’hypothèse que je voudrais défendre ici est que, en réalité, l’accélération sociale est devenue une force totalitaire interne à la société moderne et de la société moderne elle-même… Je suggère que nous puissions considérer comme totalitaire un pouvoir lorsque a) il exerce une pression sur les volontés et actions du sujet ; b) on ne peut lui échapper, c’est-à-dire qu’il affecte tous les sujets ; c) il est omniprésent, c’est-à-dire son influence ne se limite pas à l’un ou l’autre des domaines de la vie sociale, mais qu’elle s’étend à tous ses aspects ; et d) il est difficile ou presque impossible de le critiquer et de le combattre », Harmut Rosa, au début du chapitre 9  de Accélération et aliénation (2012).

« La grève se fait toujours contre l’ingénieur », Institut de démobilisation, corollaire n°1 de la 3° thèse sur le concept de grève (2012).

« Le moyen de réalisation de la concentration est la technique : non pas procédé industriel mais procédé général. Technique intellectuelle : fixation d’une intelligence officielle par des principes immuables, souvent émanés de Renan (Facultés, Fichiers, Musées.) Technique économique : érection d’une technique financière devenue tyrannique par la fatalité économique – développement de l’économie par elle-même (science autonome, en dehors de la volonté humaine). Technique politique : un des premiers domaines atteint par la technique : diplomatie, etc., vieilles règles du parlementarisme. Technique juridique : par les codifications néfastes. Technique mécanique : par un développement intense de la machine, hors de considération des besoins effectifs de l’homme, seulement parce qu’au début avait été posé le principe de l’excellence de la machine », Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, 17° directive pour un Manifeste personnaliste (1935).

→ Toutes nos (f)Estives devront viser la formulation de propositions concrètes, avec l’objectif explicite de rendre visible la décroissance. Tout cela reposera bien sûr un climat général de convivialité, de bienveillance et de festivité.

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Notes et références
  1. Pour une présentation succincte mais pertinente de ses penseurs dans leur rapport à la technique, chacun peut consulter la notice que l’association TECHNOlogos leur consacre sur son site : https://www.technologos.fr/[]
  2. Pour envoyer des contributions : festives@listes.ladecroissance.xyz[]
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