Virginie et Xavier cultivent un hectare de plantes aromatiques et médicinales sur la ZAD depuis 2 ans. Ils ont accepté de revenir sur leur histoire et de nous raconter leur amour pour ce lieu unique.
- Comment a démarré votre histoire sur la ZAD ?
Virginie : A l’origine c’était une envie de Xavier et ça fait longtemps qu’on était investis sur la ZAD tous les deux. J’ai organisé le Camp Climat de 2008 qui a été à l’origine de l’occupation sur la ZAD. On est allés beaucoup de fois voir des copains qui s’étaient installés là-bas et on est surtout allés les soutenir pour empêcher l’opération César. Suite à ça Xavier a dit qu’il avait envie de s’installer là-bas mais il avait une fille, une jeune ado de 11 ans.
Xavier : Donc les conditions familiales n’étaient pas réunies pour s’installer sur la ZAD.
V : De toute façon j’avais trop les jetons, ça m’insécurisait trop, je n’avais pas envie de vivre dans un endroit où je pouvais être expulsés d’un moment à un autre.
X : Mais quand ma fille a grandi c’est devenu possible.
V : J’ai mis de côté mes propres désirs d’enfant et ça a libéré de l’espace pour décider de ce que nous devions faire. C’est un peu sorti des cartons cette idée de trouver un terrain.
X : Une des choses qui nous a permis et encouragés à venir sur la ZAD c’est que depuis des années on s’était engagés dans un mode de vie décroissant. On n’avait pas de maison à vendre et de faibles besoins matériels et ça nous a permis de prendre les risques. Si nous, qui sommes libres comme l’air et qui n’avons pas d’attaches, ne prenons pas de risques, qui va le faire ?
En plus on était isolés et on avait envie de baigner dans cette communauté de gens qui sont proches de nos idées. On est arrivés sur la ZAD en 2016 : il y a là-bas toute une organisation de la vie très horizontale, avec une assemblée et divers commissions et certaines se chargent des questions agricoles. Une qui s’appelle « Sème ta ZAD » (qui est un groupe issu du mouvement d’occupation) qui réfléchit aux questions agricoles avec un axe très fort sur les exploitations vivrières et non marchandes. On a aussi rencontré un groupe d’agriculteurs, « Copains », qui luttent contre NDDL. On leur a parlé de notre projet de déménager et des besoins qu’on avait par rapport à notre activité (une parcelle d’un hectare la plus sèche possible). Avec ces deux commissions là on a visité plusieurs parcelles disponibles et on en a choisi une par rapport au voisinage : sur la ZAD, y a différentes mouvances et on a choisi celle qui se rapprochait la plus de nos affinités.
- C’est-à-dire ?
Xavier : Des gens fortement investis dans des projets agricoles.
V : pas forcément à des grandes échelles et de manière marchande. Le fait que ce soit agricole avec des gens actifs et une petite échelle, c’est ça qui collait le plus à nos activités.
X : Oui parce qu’il y avait aussi une autre parcelle qui se situait dans la zone non-motorisée mais on a fait le choix d’être avec le groupe proche de Bellevue ce qui était plus simple pour nous car il y avait un accès à l’eau et l’électricité.
- Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre mode de conduite agricole, plus écolo que la normale ?
Virginie : Alors l’aspect non-mécanisé c’est plutôt Xavier (rires).
X : En fait moi, dans mon ancienne vie, j’étais technicien en robotique et j’ai baigné dans l’hyper-mécanisation. Ce n’est pas par peur de la technique que je me suis éloigné de ça, car je m‘y sens à l’aise mais parce que je suis passé par tout un cheminement qui m’a donné envie d’un contact direct avec les plantes, avec le sol et j’ai pressenti que la machine allait me couper de ça, que ça allait être une barrière.
V : Quand on voit le temps qu’on passe déjà avec les bagnoles, le tracteur demande encore plus de temps de maintenance et d’entretien !
X : Y a un contact charnel avec les éléments, quand on est à 4 pattes à désherber par exemple, dont j’ai besoin.
V : Y a aussi le fait qu’on pratique que du paillage sur butte et qu’on n’aurait pas l’usage d’un tracteur. Ça va avec le fait de respecter la vie du sol.
X : Quand on a fait le choix du « sans-machine », on a cherché à savoir comment on pouvait travailler le sol sans machines et on a trouvé des techniques très novatrices, comme les sols vivants. L’idée c’est de travailler avec des techniques qui augmentent la vie du sol ce qui n’est pas évident, même en bio. On étouffe la vie du sol quand on retourne la terre.
V : Notre particularité c’est le séchage solaire. Beaucoup de producteurs font sécher leurs plantes avec un déshumidificateur et il se trouve qu’on a une conscience aiguë de la consommation d’électricité que ces machines provoquent car on a tous les deux un passé dans le domaine thermique et énergique (j’ai été conseillère en énergie et Xavier, formateur en énergie renouvelable). On utilise un séchoir solaire, c’est juste des vitres avec des rideaux derrière. Et quand il n’y a pas de soleil on a mis un insert à bois qui souffle de l‘air chaud.
- Comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement d’abandonner NDDL ?
V : Avec joie mais pas avec surprise, et avec inquiétude pour la suite. Pour moi depuis 2012 c’était gagné. J’ai eu une grosse sueur froide au début de l’opération César mais quand j’ai vu la quantité de personnes qui se mobilisaient, pour moi c’était clair, c’était gagné. Je ne voyais pas comment la mobilisation allait faiblir. Par contre l’abandon pouvait aller de pair avec une baisse des mobilisations. Donc on va voir si l’enthousiasme pour lutter contre l’aéroport sera aussi important que pour la ZAD elle-même.
X : Moi j’ai ressenti une très grande joie en voyant le lien entre tous ceux qui habitaient sur la ZAD et ceux qui nous soutiennent aux alentours. Toutes ces personnes qui œuvrent depuis des années pour que cet aéroport ne se fasse pas. J’ai eu une grande joie en sentant cette connivence malgré nos différences, car on vient d’horizons différents et de démarches politiques différentes, mais le fait d’avoir agi côte à côte a créé un lien qui est très fort. C’est de l’amitié, on sait qu’on peut compter les uns sur les autres.
- Comment vous envisagez l’avenir de la ZAD et du coup l’avenir aussi du Très Petit Jardin ?
X : On a investi de l’argent et du temps sur la ZAD et depuis le début on s’est investi sur une période de long terme. Donc depuis que le projet est abandonné c’est encore plus évident.
V : Moi je ne suis pas inquiète pour nous, car ils ont laissé entendre que les projets agricoles légaux seraient potentiellement légalisés. Mais ce qui m’inquiète davantage c’est de rester toute seule, j’ai envie que tous ceux qui sont sur place restent. Je ne verrai pas d’intérêt à rester si je suis seule avec mon petit projet agricole. Moi je suis venue là pour changer le monde !
X : Sur la ZAD depuis dix ans y a une vie qui se construit qui est hyper enthousiasmante pour nous, des produits qui s’échangent en dehors de la monnaie, une dynamique de lutte contre le capitalisme, avec des lieux d’accueil inconditionnels qui peuvent être des refuges pour des gens qui sont exclus du système.
V : Oui des gens viennent s’installer sur la ZAD, complètement en dehors du système économique marchand, et ils viennent se reconstruire sur la ZAD.
X : Y a pas de police sur la ZAD depuis 6 ans, et paradoxalement c’est là où on se sent plus en sécurité qu’ailleurs.
- La décroissance ça veut dire quoi pour vous ?
V : Qu’il va falloir réduire nos besoins pour arrêter d’empiéter sur les générations futures et les pays qu’on exploite et qu’on domine. Tous les objets et services dont tout le monde ne peut pas disposer sur la planète, j’essaie de m’en débarrasser progressivement.
X : ça fait longtemps qu’on est dans une démarche de décroissance et le fait de venir sur la ZAD ouvre une perspective nouvelle : c’est une décroissance collective. Individuellement des choses peuvent être faites mais collectivement on peut aller beaucoup plus loin. Par exemple sur la ZAD y a quelque chose de fabuleux : il y a tous les avantages de la vie urbaine, avec une vie culturelle énorme (une bibliothèque, des conférences, …) sans avoir les désavantages (la pollution) et en plus les avantages de la campagne (le lien avec la nature). On peut vivre sur la ZAD sans avoir à faire beaucoup de kilomètres pour avoir tout ce dont on a besoin.
V : On envisage aussi de participer au jardin potager collectif et donc de ne pas en avoir un pour nous tout seul, tu vois.
X : Le fait d’arriver sur la ZAD ça bouscule beaucoup de choses dans nos démarches politiques, par exemple on va plus loin dans le fait d’être pas seulement dans « un mode décroissance mais dans un monde capitaliste » mais d’être « décroissant aussi en-dehors d’un système marchand ». On parlait des gens qui vivent dans la zone non-motorisée et presque de façon « primitive » ben ça c’est très inspirant, ça nous questionne sur la façon de gérer collectivement une société, sur la mise en pratique de l’horizontalité dans un groupe. Ce qui est aussi nouveau pour moi c’est le fait d’être en lutte. Notre projet, c’est pas seulement de créer un îlot paradisiaque, non, on est et on veut rester quelque chose de dérangeant, qui continue de faire avancer les choses.
V : Quand on a construit notre séchoir on l’avait fait à une dimension normale et ensuite on a participé à des chantiers participatifs pour construire notre hangar, et du coup on s’est rendu compte qu’on allait pouvoir faire des cueillettes collectives et on a surdimensionné notre séchoir pour faire plus de plantes. Ça nous permet de réinjecter nos produits dans notre circuit non-marchand, même si on garde une caisse où les gens peuvent mettre de l’argent. J’ai volontairement diminué mon revenu par trois en passant à mi-temps quand j’étais salariée, puis en sortant du salariat : la décroissance pour moi c’est avant tout se débrouiller pour gagner moins d’argent ! Nous vivons avec un niveau de revenu équivalent aux minimas sociaux, et nous sommes encore des riches par rapport à la majorité de la population du globe.
X : Ce qui est intéressant dans ces échanges non marchands c’est qu’on apprend à lâcher prise, on met au pot et on n’attend rien en retour. On fait confiance aux autres pour participer et on sait qu’on aura en échange, y a pas d’obligation. Par exemple les gens sur la ZAD qui sont en difficultés et qui n’ont pas d’argent, ils vont au non-marché et ils vont pouvoir manger gratuitement et on attendra rien en retour. On lâche l’idée d’être rétribué pour ce qu’on amène.
- Vous avez dit le Non-Marché ?
Virginie : Oui c’est tous les vendredis entre 17h et 19h ! Les groupes qui produisent viennent donner ce qu’ils ont produits et il y a une caisse où les gens donnent de l’argent quand ils en ont. Tu vas avoir des légumes, du fromage blanc, du fromage, de l’huile de tournesol depuis récemment, bientôt de la farine de sarrasin, des galettes et nous on apporte des mélanges de plantes pour faire des tisanes !