Mais qui fera les « sales boulots » (à ma place…)?

Voilà bien une objection récurrente, et qui n’étonnera personne: « Mais qui fera donc les « sales boulots »? ». Dès que l’on avance l’idée d’un revenu inconditionnel de gauche – donc d’un montant suffisamment élevé pour permettre à ses bénéficiaires de se passer durablement d’emploi – la question revient inévitablement.

Pour rappel, dans la version de droite, la question ne se pose pas puisque, d’une part, le montant insuffisant proposé ne permettrait pas d’échapper au turbin, et que, d’autre part, il donnerait la possibilité aux employeurs de prétexter de cette aumône pour baisser un peu plus la rémunération des « sales boulots ». Pour la version de gauche, toutefois, la question se pose, et encore heureux! Cette question est salutaire en effet, et c’est à mon sens une des grandes vertus du revenu inconditionnel que de la soulever presque systématiquement. Je dois même vous avouer que je me plais à défendre le revenu inconditionnel ne serait-ce que pour voir surgir cette question lors des débats… Ce qui me chagrine en revanche, c’est qu’elle revienne avec autant de constance à gauche.

Cela me chagrine en effet, car, soyons honnêtes, la véritable question qui est posée si l’on dévoile l’ellipse inavouable, c’est bien: « Mais qui acceptera encore de faire les sales boulots à ma place? ». Eh oui, « à ma place », car ce qui est en jeu derrière cette interrogation naïve (faussement?), c’est bien la défense de l’actuelle division du travail, contre un plus juste partage des tâches.

Aujourd’hui, la division du travail est défendue:

  • Au nom d’une efficacité pourtant contestable (voir notamment Stephen Marglin, « À quoi servent les patrons? »; mais aussi André Gorz par exemple),
  • Mais aussi pour le confort qu’elle apporte à ceux qui en jouissent, c’est-à-dire:
    • Ceux qui occupent les emplois gratifiants et n’ont donc pas à s’occuper des « sales boulots ».
    • Ceux (souvent les mêmes) qui sont grassement payés et qui peuvent ainsi s’enorgueillir d’offrir généreusement un emploi à leur femme de ménage.
  • Et surtout, la division du travail est défendue avec le plus grand mépris pour ceux qui en pâtissent.

Soulignons d’ailleurs que la conclusion logique mais rarement énoncée du « Mais qui fera les sales boulots? », n’est autre que: « Heureusement qu’il y a suffisamment de pauvres aujourd’hui qui ne peuvent pas refuser de faire ces sales boulots! ». Comme s’il était normal, pour ne pas dire juste, qu’une partie de la population soit contrainte de se coltiner en silence les sales boulots de tous… Je comprends bien que cela puisse paraître pratique, surtout si l’on ne fait pas partie de cette partie malchanceuse, mais cela rend-il la situation acceptable pour autant? Je ne pense pas.

C’est pourquoi l’objection adressée aux défenseurs de gauche d’un futur (espérons-le) revenu inconditionnel se renverse en fait en sévère critique adressée à notre société, ici, et maintenant. Qui fera les « sales boulots » si l’on introduit un revenu inconditionnel? Mais au fait, qui les fait aujourd’hui ? Ont-ils le choix? Est-ce juste? Au final, plutôt que de brandir des objections honteuses, les opposants de gauche d’un revenu inconditionnel de gauche, feraient mieux de chercher à répondre dès aujourd’hui à ces questions et de remercier les promoteurs du revenu inconditionnel de leur avoir offert l’occasion de se les poser.

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3 commentaires

  1. Pas d’accord. Chacun et chacune doivent participer à la production de choses indispensables à la vie. Le travail ne manque pas, ce sont les postes qui manquent. Je suis pour un territoire 0 chômeurs et une réduction du temps de travail et le retour au CDI, que chacun puisse faire des projets d’avenir et construire sa vie. Pour les valides en mesure de faire quelque chose, et selon ses compétences.

    1. Pas facile de savoir avec quoi vous n’êtes pas d’accord. Est-ce avec la proposition générale de revenu inconditionnel ? Ou simplement avec l’analyse proposée par ce texte de Baptiste Mylondo ? Parce que ce que le texte dit c’est qu’il faut refuser de continuer à assigner les « sales boulots » aux pauvres. Et donc à la question « qui fera les sales boulots à ma place ? », nous répondons : « c’est toi ». Voilà pour la teneur générale de ce texte : si vous n’êtes pas d’accord, cela veut-il dire que vous défendez l’injuste division actuelle du travail ? Il me semble pourtant à la lecture de ce que vous écrivez que vous seriez d’accord pour justement un partage de ces sales boulots → https://decroissances.ouvaton.org/2021/03/12/eloge-indivision-sociale/#Pour_un_principe_de_rotation_II

  2. Avec le RI ; y aurait il encore des sales boulots ?
    Il faudrait peut être envisager un partage des taches en fonction des compétences de chacun. Certes les taches les plus ingrates ne nécessitant pas de compétences particulières devraient être prise en charge par la totalité de la population. Condition sine qua non au RI.

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