Nous sommes nombreux cette semaine à nous réjouir de l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes à Nantes et du message d’espoir pour tous ceux en France qui se battent contre d’autres projets insensés. Ne boudons pas notre plaisir, avec ceux qui ont permis ce résultat, opposants de la première heure ou générations qui se sont succédé. Mais regardons en creux ce que nous dit cet abandon.
Nous vivons dans une société d’accumulation. Il faut toujours plus de ressources, de produits, de capitaux pour satisfaire nos envies de consommation, en biens, services et loisirs. Il faut aussi fournir du travail aux consommateurs qui vont s’endetter pour satisfaire aux canons publicitaires et au conditionnement pour ressembler à la classe supérieure. Nous sommes une société obèse qui dévore la planète entière, avec un appétit exponentiel alors que tous les indicateurs nous imposent un changement de régime pour survivre.
Le système politique oblige les candidats à la surenchère pour être élus, en proposant monts et merveilles pour plaire aux décideurs économiques qui façonnent les médias et l’opinion publique. Il nous faut disent-ils ici un aéroport, ailleurs un « Center Parc », un tunnel, une nouvelle autoroute, un stade, une ligne TGV, une piste de ski etc. Il faut aussi des centres commerciaux, des usines d’élevage intensif, de fabrication de produits à durée de vie toujours plus courte pour maintenir l’emploi en rognant toujours plus sur les droits des travailleurs, compétition mondiale oblige.
Au nom de l’emploi, du développement et de consommateurs exigeants dans leur quête de plaisir individuel, tout est possible. Mentir, tricher, intimider, bâillonner par des recours judiciaires lourds, longs et coûteux. L’état, les médias, les décideurs économiques et les élus locaux maitrisent l’outil de décision quand les citoyens refusant de se résigner vivent des parcours de combattant pour se faire entendre et exceptionnellement réussir à contrer un projet. On parle de lutte, de combat et de victoire pour l’un ou l’autre camp, alors que nous prétendons vivre en démocratie et être doués de raison. Pourquoi n’arrivons-nous pas à nous mettre autour d’une table sans autre enjeu que le bien commun ?
Pourquoi construire un nouvel aéroport dans une ville qui en a déjà un, dans une région qui en a déjà neuf déficitaires, dans un pays recordman d’Europe, quand on annonce la fin du trafic aérien d’ici 20 ans faute de carburant ? (Sauf à croire à un Père Noël qui nous apportera d’ici là l’énergie pure et sans limite) Pour satisfaire l’industrie du tourisme et les consommateurs de voyage en avion à bas coût, sans s’interroger sur les raisons du bas coût ni sur le fléau du tourisme de masse. Pour créer une zone économique, des parcs d’affaire, des infrastructures routières, des services attenants. Pour faire plus grand que le voisin dont on garantit ainsi la disparition, en attendant qu’un plus gros nous dévore. Les dés sont pipés sur ce grand jeu de l’oie où des décideurs sont prêts à tout pour satisfaire leur égo et s’assurer des voix, ou simplement par croyance dans le culte du développement, mot sur toutes les lèvres des perdants du jour.
Soyons cohérents. Nous voulons prendre l’avion ? Alors prenons aussi l’aéroport et ses nuisances. Fabriquons les avions dévoreurs d’électronique, de terres rares et de métaux en voie de disparition (400 km de câbles dans un Airbus A380). Des avions qui sont le baromètre de notre commerce extérieur quand le seul repère est le nombre d’Airbus ou de Rafales vendus. Des avions polluants, angle mort de la COP21, au rythme d’un vol par seconde sur la planète 1 Des avions qui consomment un litre de kérosène au kilomètre, privant les générations future d’une énergie indispensable.
Le problème de l’aéroport n’est pas la disparition d’une zone humide. La France n’en manque pas malgré l’artificialisation des terres agricoles. Nous en avons un bon exemple avec les Dombes à nos portes 2 que l’étalement urbain et les pratiques agricoles sont en train de détruire.
Le problème n’est pas la disparition d’une espèce animale protégée 3 quand nous vivons la sixième extinction de masse de biodiversité et que bien souvent les opposants à un projet en ignore même l’existence au départ de la lutte, s’y raccrochant ensuite pour ses bienfaits juridiques.
Gagner NDDL, c’est autoriser l’agrandissement de l’aéroport existant qui pourra transporter autant de voyageurs que ceux de Londres ou Genève. C’est la kyrielle de cadeaux qui seront fait aux perdants pour les consoler (on parle déjà d’une relance de la liaison ferroviaire express Nantes-Rennes sur la table depuis 20 ans) Victoire à la Pyrrhus si cela se solde par l’expulsion des zadistes qui ont fait de la ZAD un lieu de multi-expérimentations. Quand les nantais continuerons de prendre l’avion sans se questionner pour aller consommer ailleurs en attendant la téléportation, sacrifiant par plaisir égoïste leur propre territoire où ils ne participent pas à la vie citoyenne.
Des luttes il y en a partout en France contre des projets insensés, menées par une poignée de personnes face à des décideurs sans contrepouvoir quand la majorité de la population ignore ou ne veut pas savoir.
Les opposants n’ont rien gagné parce que tout va continuer comme avant, qu’il a fallu 50 ans pour en arriver là sans aucun espoir de tirer les leçons de ce gâchis qui va se perpétuer ailleurs, avec son lot de dégâts collatéraux : centre d’enfouissement de déchets hautement radioactifs à Bure (30 ans de lutte), TGV Lyon-Turin et son tunnel (30 ans de lutte), Contournement de Strasbourg (40 ans de lutte) Center Parcs de Roybon (entre autres) et tous projets nuisibles dont les élevages intensifs (viande, œuf, foie gras, fourrure) Il y a une cinquantaine de ZAD en France et des centaines de luttes en cours, beaucoup de défaites et peu de victoires pour les opposants. Parce que nous sommes résignés. Parce que nous avons peur de ce qui pourrait nous arriver si on contrarie le dévoreur de monde. Nous.
---------------Notes et références
- En 2017, l’ASN a enregistré 37 millions de vols réalisés par 27 000 avions de ligne, soit plus de 4 milliards de passagers transportés par l’aviation civile dans le monde avec chaque seconde 127 passagers qui prennent l’avion dans un des 14 000 aéroports de la planète.[↩]
- l’auteur habite aux portes du plateau des Dombes dans l’Ain, réputé pour ses 1100 étangs[↩]
- 1500 espèces inventoriées, 130 espèces sont protégées dont le campagnol amphibie.[↩]
Oui, c’est juste, et il fallait le dire. Nous pouvons nous réjouir mais ce n’est pas une victoire totale. L’aéroport existant va pouvoir s’agrandir et le principe des déplacements en avion – pour qui, pour quoi, à quel coût environnemental – n’aura pas été remis en question.