Marlhes, jolie bourgade des environs de Saint-Etienne. En ce dernier week-end d’août, environ 200 personnes se pressent aux (F)Estives, rencontres nationales de la décroissance. Ici, comme à l’université du Medef (lire page 20), on tire les enseignements de la crise pour refaire le monde. Il y a des barbes, des cheveux en pagaille, des chaussettes en laine engoncées dans d’improbables sandales. Des jeunes libertaires, des artistes et des écolos, séduits par les écrits du politologue Paul Ariès ou de l’économiste Serge Latouche. Mais pas uniquement. Richard Cagny, le quadra blond à la coupe courte qui a bien voulu faire office de « chauffeur officiel de la manifestation », est un ancien patron de SSII. « J’ai liquidé ma boite pour être papa à plein-temps, sourit-il. Je ne travaille que quand j’en ai vraiment besoin. Je ne veux pas passer à côté de ma vie. La décroissance est le seul mouvement qui ose remettre en cause ce qui apparaît comme une évidence ». C’est-à-dire la centralité du travail rémunéré et « le mythe de la croissance infinie dans un monde aux limites physiques déterminées ».
Ceux qui ont choisi pour slogan la « sobriété heureuse » appellent-ils de leurs voeux la récession ? Pas si simple. Pour eux, il ne faut pas confondre cette dernière avec la décroissance. Considérant que « la première des décroissances à souhaiter est celle des inégalités », ils veulent consommer moins mais mieux sans pour autant souhaiter le chômage de masse. Leur credo, c’est la relocalisation de l’économie. Encourager la coopération, plutôt que la compétition. Et dégager du temps libre permettant l’expérimentation sociale
« Nous sommes des militants chercheurs », explique Michel Lepesant, un professeur de philosophie drômois. « Même s’il n’était pas en crise, je critiquerais le capitalisme, car il développe un mode de vie absurde tourné vers l’accumulation de biens matériels qui ne rend pas plus heureux ». Concrètement, les décroissants cherchent à rétablir le lien direct entre producteurs et consommateurs via les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), qui séduisent un nombre exponentiel de Français. Parmi leurs chantiers figurent aussi les SEL (Systèmes d’échange locaux), la création de monnaies locales ou les coopératives d’habitat. Samedi, une table ronde très animée a creusé l’idée d’un « revenu inconditionnel pour tous », défendue notamment par le député Vert Yves Cochet.
Héritiers de l’utopisme socialiste du XIXe siècle, les décroissants ne sont ni des idéologues ni de dangereux révolutionnaires. « La décroissance n ‘est pas un projet mais un chemin », assure Jean-Marie Robert, un Vannetais passé par le PSU et Les Verts. « Pour nous, il n’est pas question de grand soir, mais de petits matins ». Avis aux amateurs.
Coralie Schaub – Challenges n°222 de septembre 2010.