Même si du point de vue de la croissance économique, Donald Trump et Kamala Harris, c’est « bonnet blanc et blanc bonnet », il n’est quand même pas inutile de s’inquiéter de la victoire de Trump.
Surtout qu’il s’agit d’abord d’une défaite de Kamala Harris. Regardons les chiffres, de la participation et surtout comparons les résultats de 2024 avec ceux de 2020 (et de 2016). Alors qu’il y avait plus de 6 millions d’inscrits supplémentaires, la participation a chuté de plus de 18 millions de votants. Trump fait un petit peu moins bien qu’en 2020 (d’environ 1 million) mais c’est le vote démocrate qui s’est effondré : de plus de 81 millions de voix à un peu plus de 69 ! (maj : « Alors que le dépouillement touche à sa fin, Trump a réuni plus de 74 millions de voix, contre un peu moins de 71 millions pour Kamala Harris. Pour autant, il ne s’agit pas d’un raz-de-marée : au global, il ne réunit guère plus de voix qu’en 2020. C’est son adversaire qui, elle, décroche par rapport au score réalisé, il y a quatre ans, par Joe Biden qui avait réuni plus de 81 millions de voix », Le Monde du 09/11).
En quoi ces chiffres doivent inquiéter les décroissant.e.s ? Parce que, plus qu’un effondrement du vote démocrate, c’est un effondrement du vote anti-Trump qui a fait sa victoire. Que signifie cet effondrement ? Que les électeurs américains se sont habitués à Donald Trump.
Mais comment est-il possible de s’habituer à un tricheur, un menteur, un xénophobe, un masculiniste, etc. ? On pourrait se raconter que cela est dû à la personnalité de Trump mais il est plus pertinent politiquement de voir en Trump une pauvre marionnette au service d’un dispositif beaucoup plus inquiétant (à une autre échelle, il en va de Bardella comme de Trump).
En tant que décroissant.e., demandons-nous quel est ce « dispositif » : est-ce celui de la croissance économique ? Il suffit de lire le programme de Harris pour voir que non. Nous pourrions nous dire que c’est une question de valeurs : mais si c’était le cas, alors les « bonnes » valeurs auraient dû l’emporter haut la main.
D’où l’hypothèse que ce dispositif, certes basé sur les mirages de la croissance économique, est avant tout celui d’une organisation « spectaculaire » (Guy Debord) dont le levier est la neutralisation de toute discussion portant sur les valeurs et sur les faits : d’où le régime de la post-vérité et des faits alternatifs, celui de l’aplatissement de toute controverse de fond en une polémique de com’ !
Ce dispositif est ce qu’Onofrio Romano, compagnon italien de la MCD, nomme « régime de croissance » : c’est un régime de neutralisation, une fabrique généralisée de l’indifférence et de la confusion.
C’est ce régime de neutralisation qui peut expliquer le titre de cet article luxembourgeois republié par Timothée Parrique lui-même : « Celui que tout le monde invite, mais que personne n’écoute » (lire aussi les recensions sur notre site).
C’est ce que la MCD désigne comme le « plouf ».
Alors plutôt que de se raconter que nos idées seraient déjà majoritaires (et de s’enfermer dans la bulle rose de l’entre-soi) ou que de toutes façons la décroissance est inéluctable (et de s’enfermer dans la bulle noire de la catastrophologie), prenons le taureau croissanciste par les cornes et attaquons nous à ce régime politique de croissance.
C’est ce que nous ferons dès demain en participant à l’Agora de la décroissance organisé par nos ami.e.s d’Alter Kapitae, et surtout dès la semaine suivante en organisant notre Caravane contre-croissance (en 3 étapes pour cette première édition).
Le souci c’est que votre analyse de la victoire 2 de Trump, met complétement à l’écart l’abandon croissant des classes populaires par les démocrates aux Etats-Unis depuis l’élection de Bill Clinton, qui a torpillé Le Welfare State pour le Workfare, tout en racialisant les maigres subsides donnés aux mères isolées pauvres…
En France, le PS et les Verts ont fait la même chose depuis leur adhésion au néolibéralisme dans les années 80… et au vue de leur faible mobilisation suite aux résultats des législatives de 2024 pour apporter un nouveau récit capable de susciter du désir pour changer de cap…Je crains que cette démission n’aboutisse à l’arrivée du RN au pouvoir en 2027.
Vous avez raison. Dans la victoire de Trump, il n’y a pas que la défaite de K. Harris, il y a aussi la perte du vote « populaire » par les démocrates : il y a plus de 40 ans, André Gorz publiait son « Adieu au prolétariat » ; aujourd’hui, une mise à jour devrait analyser un « adieu » à une grande partie de la classe moyenne (à gauche, socialiste et écologiste, c’est la « gauche brahmane » selon l’expression de T. Piketty).
Pour autant, cet « adieu » structurel aux classes moyennes n’avait pas empêché la défaite de Trump il y a 4 ans. Et donc, ce billet n’avait pour objectif que d’expliquer la perte d’une dizaine de millions de voix par les « libéraux » américains, perte expliquée par une habituation à la rhétorique trumpienne qui entraîne une indifférence à ses excès et à la menace qu’il constitue pour la démocratie. Or cette indifférence peut être expliquée comme un effet d’un dispositif général de dépolitisation = un dispositif de neutralisation de la politique = une individualisation ← et c’est là qu’à la MCD, nous voyons un effet direct de ce que nous dénonçons comme « régime de croissance ».
L’habituation à la rhétorique trumpienne ne s’exerce pas seulement sur cette dizaine de millions de voix mais aussi sur l’ensemble des non-votants et aussi sur une grande partie de l’électorat républicain qui sans être trumpiste continue de voter républicain : bref, ce non-rejet de Trump est plus que majoritaire.
La question (politique) suivante est de se demander si l’attente d’un « nouveau récit » ne résulte pas aussi de ce dispositif de dépolitisation, dans la mesure où précisément la « forme » storytelling de l’argumentation politique, en risquant de faire passer la forme avant le fond, procède aussi de la dépolitisation.