Scénarios du futur, imaginer des choix
Dans le cadre d’une réflexion stratégique pour faire advenir une société juste, démocratique et soutenable, QUE VAUT LA SIMPLICITÉ VOLONTAIRE COMME MODE D’ACTION, COMME FORME D’ENGAGEMENT ? Autrement dit, quel rôle et quelle place pour la transformation individuelle dans la perspective d’une transformation sociale et politique ?
Devant l’effervescence des modes d’actions individuels dans notre société pour enrayer le réchauffement climatique et diminuer les inégalités sociales, il faut commencer par pointer plusieurs écueils dans lesquels tombent bon nombre de personnes cherchant à agir en changeant leur mode de vie.
- PARCELLISATION. Additionner quelques bonnes pratiques (prendre plus souvent le vélo, adhérer à une a.m.a.p, boycotter quelques grandes marques, cultiver son jardin, la liste est longue) ne saurait être équivalent à une remise en question radicale des logiques qui sous-tendent notre façon de vivre. Comme le dit Paul Ariès, il ne s’agit pas de faire la même chose en moins.
- INDIVIDUALISME. Envisager l’écologie et la justice sociale au prisme de l’action individuelle, si cela permet de retrouver un sentiment de puissance d’agir à l’échelle de sa personne, cela peut être aussi un frein à l’élaboration d’une puissance d’agir collective qui manque terriblement de nos jours.
- DÉPOLITISATION. La quête d’une pureté personnelle dans son mode de vie vient remplacer la nécessité politique de créer du commun et de s’organiser collectivement pour transformer la société.
À écouter la fable du colibri, le politique serait l’addition des parts individuelles. Contre cette vision imprégnée de libéralisme, nous pensons que le politique démarre non de la perspective individuelle, mais de la perspective collective.
Au delà des pièges stratégiques auxquels s’exposent les partisan.te.s de la simplicité volontaire, nous considérons qu’un travail personnel sur soi et son mode de vie comportent de précieux intérêts, encore faut-il bien en comprendre les enjeux. Plus qu’une liste de pratiques à prohiber ou adopter, il s’agit d’un rapport critique à son existence et à la forme qu’elle prend, il s’agit d’envisager la quotidienneté sous un autre paradigme. Plutôt que d’induire des solutions individuelles, la simplicité volontaire ne fait sens qu’en tant qu’elle favorise la création de pratiques collectives, qu’en tant qu’elle est un appui pour l’émergence de nouveaux mondes qui se construisent en rupture avec l’ancien. C’est dans cet ancien monde, aliénant et destructeur par ses logiques productiviste, consumériste, capitaliste et libérale qui le structurent, que nos rapports au choses, aux autres et à nous-même se sont formés. Nous sommes imprégnés de cette culture, et l’intérêt de la simplicité volontaire est de constituer un travail sur soi pour s’en désintoxiquer, pour se défaire de cette culture qui nous colle à la peau. Transformer son rapport au monde, aux autres et à soi même, cela passe par un travail aux dimensions spirituelle et matérielle. Spirituelle, car il s’agit de développer une lucidité critique vis-à-vis des logiques qui sous-tendent la forme de notre existence. Matérielle, car il s’agit concrètement de parvenir à se défaire de ces logiques qui nous tiennent captif.ve.s, afin d’inventer des formes de vie qui fonctionnent selon d’autres logiques, des logiques qui concrétisent nos valeurs décroissantes. La simplicité volontaire est intéressante quand elle permet de faire des questions anthropologiques un enjeu politique.
La simplicité volontaire a donc cet intérêt de poser la question de la cohérence de nos existences, elle nous permet d’insister sur le fait que « capitalisme », « productivisme », etc, ne sont pas que des mots ou des structures abstraites, mais tout un monde complexe qui s’étend jusque dans notre intimité, constituant notre façon de percevoir le monde. Il y a donc, à travers cette réflexion sur la nécessité de s’« extraire » de l’ancien monde, un enjeu stratégique à ne pas négliger. Pour autant croire que la simplicité volontaire pourrait constituer une stratégie de transformation sociale à part entière est illusoire. Une telle croyance est le fruit de l’imprégnation de la vision libérale qui valorise ce schéma qui fait du politique l’addition des actions individuelles. Il en découle un second schéma, celui de l’essaimage, selon lequel mon action rayonnera et induira à terme une transformation globale par rayonnements successifs ; ce schéma vient nier les rapports de force à l’œuvre au sein de la société et les intérêts contradictoires qui s’y confrontent (comme s’il suffisait de montrer la façon très sobre et conviviale dont on vit à un magnat de l’industrie pour le convaincre de démanteler son empire).
Dans une perspective de transformation sociale, une stratégie d’accumulation des transformations individuelles mène à une impasse. Si l’on veut envisager la possibilité de l’enclenchement d’un trajet de décroissance, il nous semble fécond de poser un principe de complémentarité : transformation personnelle, expérimentations collectives et défense d’un projet politique global doivent s’articuler, se nourrir et se renforcer entre elles. Comprise dans ce sens, la simplicité volontaire n’est pas une fin en soi, mais l’un des moyens d’une stratégie plus large qui vise à faire advenir une autre société.
William de Witte