Lors de controverses politiques, quand nous défendons la décroissance, inévitablement nous avons à répondre à la question de la décroissance dans les pays du Sud: ceux qui sont démunis doivent-ils aussi décroître ? La question n’est pas innocente et elle nous est bien souvent posée pour nous mettre en difficulté. Et nous voilà, nous décroissants, en venir à convenir d’une croissance dans les pays pauvres, conformément en apparence à l’exigence de ce que nous appelons « espace écologique » : décroissance de ceux qui dépassent le plafond et croissance pour ceux qui sont en dessous du plancher. Beaucoup pensent même que la décroissance est valable pour les pays industrialisés et non pour ceux qui n’ont pas accédé à la consommation de masse et le Sud devrait continuer dans la voie de la croissance. Ainsi pour Paul Ariès « la décroissance équitable n’est pas la décroissance de tout pour tous : elle s’applique aux surdéveloppés et à des sociétés boulimiques. » Or dans le dernier numéro (avril-juin 2019) de la revue L’écologiste, Serge Latouche nous offre une réponse intéressante à cette question de la décroissance des pays pauvres.
Tout d’abord il rappelle que le projet de la décroissance n’est ni celui d’une autre croissance, ni celui d’un autre développement, mais bien la construction d’une société sans croissance. Pour lui les « oc » qui répètent que la décroissance ne concerne que le Nord, nourrissent le malentendu. Il importe de revenir sur l’ethnocentrisme de la croissance, dont il faut démystifier les fameux « bienfaits ». Les méfaits du développement ont été largement dénoncés par Majid Rahnema : « la destruction de l’autoproduction familiale traditionnelle des populations vivant frugalement transforme la pauvreté en misère. » (Quand la misère chasse la pauvreté) et par Ivan Illich. Et de citer Hervé René Martin (Éloge de la simplicité volontaire) : « Pourtant que pourrait-il arriver de mieux aux habitants des pays pauvres que de voir leur PIB baisser ? Plus celui-ci augmente, plus la nature est détruite, les hommes aliénés, les techniques simples mais efficaces et les savoir-faire ancestraux jetés aux oubliettes. Décroître pour les habitants des pays pauvres signifierait donc préserver leur patrimoine naturel et culturel, quitter les usines à sueur pour renouer avec l’agriculture vivrière, l’artisanat et le petit commerce, reprendre en main leur destinée commune. » En fait une auto-organisation de sociétés et d’économies vernaculaires proches du projet de la décroissance.
Il ne faut plus se laisser piéger et oser, ce qui peut paraître indécent aux yeux de certains, défendre la décroissance pour tous.
Et peut-être aussi rappeler que la décroissance est une idéologie qui se moque du PIB : le but n’est pas de le faire baisser à tout prix, comme actuellement les croissancistes essaient de le faire monter à tout prix.
Dans une société de décroissance, sans doute arrêterait-on de mesurer le PIB, non ?
Penser au bien être et à la richesse possédée par chacun, plutôt qu’à la richesse créée par tous pour partir on ne sait où.
Il semble quand même difficile de faire comme si le PIB ne mesurait pas la destruction du monde commun ; pour le dire autrement : est-ce en cassant le thermomètre que la fièvre baisse ? Non, c’est en s’attaquant aux causes plutôt qu’aux symptômes.