« Ne jouons pas les Cassandre ! » Qui n’a pas entendu cette phrase lors d’une conférence ou d’un débat ? Pour ma part, la dernière fois que j’ai entendu quelqu’un la dire, c’est Edouard Piely (journaliste à Sciences critiques), lors de l’université du bien commun qui se tenait au 100 rue de Charenton à Paris, le 13 janvier dernier. Ne pas jouer les Cassandre signifie ne pas se faire le porteur de mauvais augure. Mais nous les décroissants, ne sommes-nous pas condamner à « jouer » les Cassandre ? Mais au fait qui était Cassandre ?
Fille de Priam et d’Hécube, roi et reine de Troie, elle était, d’après Homère une très belle femme très courtisée. Apollon, le bâtisseur de Troie, dieu des oracles et de la divination entre autres, était du nombre de ses admirateurs. Bien fait de sa personne, l’apollon des plages de Delos avait plus d’un tour dans son sac pour séduire les jolies nymphettes. Pour vaincre les réticences de Cassandre, il promit de lui enseigner l’art prophétique si elle s’offrait à lui, mais une fois qu’elle possédât la divination elle se refusa. Un peu rancunier, Apollon lui cracha dans la bouche ce qui, tout en lui laissant son pouvoir divinatoire, lui enlevait celui de convaincre les hommes.
Voilà le drame de Cassandre : elle lit l’avenir, mais jamais elle n’est crue. Ainsi quand les Grecs, après dix années de siège, feignent de retourner en Attique en abandonnant un grand cheval de bois sur la plage, Cassandre n’est pas écoutée alors qu’elle dénonce le piège. Elle a beau supplier son père, hurler à l’envi la destruction de Troie, personne ne la croit. On se rit de ses mises en garde, on la croit même un peu fofolle.
Plus tard, quand les Grecs vainqueurs se partageront les restes de la cité détruite, elle deviendra l’esclave et la maîtresse d’Agamemnon. Quand celui-ci décidera de rentrer à Mycène, dont il est le roi, elle le suppliera de ne rien en faire. Cette fois encore elle ne sera pas écoutée et Agamemnon retournera dans sa cité pour se faire poignarder par Egyste l’amant de sa femme Clytemnestre, cette dernière se chargeant de tuer Cassandre.
Le destin de Cassandre n’est-il pas celui des décroissants ? Non pas que nous risquions de finir poignardés, mais quand nous ne cessons de dire que seule la décroissance des inégalités sociales et celle du PIB sauront nous éviter la barbarie qui nous guette, nous ne sommes pas entendus. Alors que la misère gagne du terrain chaque jour et que nous avons dépassé les seuils écologiques soutenables, combien sont ceux qui nous rejoignent ? Quand nous nous comptons nous sommes bien peu, et nous sommes comme Cassandre, impuissants devant la surdité des autres. La gageure de la Maison commune de la décroissance est de rendre crédible une pensée que nos contemporains ne veulent pas entendre.