Merci à Jérôme Vautrin pour ce texte, certes écrit il y a 1 an, mais qui reprend quelques aspects de l’éthique environnementale, sur laquelle il avait gentiment, avec Irène Pereira, improvisé un « atelier » pour nos (F)Estives de Moissac.
Une réponse à l’article « la décroissance n’est pas porteuse d’espoir » de Corinne Lepage, Le Monde, édition du 20/08/2010
23 août 2010
Jérôme Vautrin
Etudiant en Master de philosophie
Dans un article paru dans le journal Le Monde du 20/08/2010, Corinne Lepage prend acte du fait que la crise environnementale nous procure une occasion historique de changer de civilisation. Faisant le constat de l’impossibilité pratique d’une croissance durable (un oxymore selon elle), elle met également en garde contre tout « projet de transition » purement anticapitaliste fondé sur la décroissance, au motif qu’il ne saurait emporter l’adhésion de nos concitoyens. En rendant « détestable le possible », un tel projet rendrait « impossible le souhaitable »…
Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le rapport Brundtland, le développement durable est défini comme :
« un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »
Proposant le passage d’un système travail/capital à un système travail/capital/ressource, Corinne Lepage envisage de remplacer le développement durable par « l’évolution soutenable ». L’environnement ne doit en effet plus être considéré comme une simple donnée quantifiable et limitée, intégrée au capital, mais comme un patrimoine collectif auquel l’économie doit être subordonnée. Par cette révision des priorités, Corinne Lepage prétend dépasser le débat croissance/décroissance.
De même, en redonnant au travail sa valeur sociale centrale, en le remettant au cœur de l’économie et en faisant de l’acte d’achat un acte raisonné en soumettant la consommation aux impératifs de préservation de l’environnement, « la macroéconomie soutenable redonne au politique son rôle et ses droits, celui d’un investisseur de long terme, cependant que le capitalisme évolue vers un capitalisme entrepreneurial ». En d’autres termes, l’Etat doit redevenir un acteur économique essentiel, de même qu’il doit s’attacher à favoriser les PME et petits entrepreneurs au lieu de concentrer ses moyens sur les multinationales et le capitalisme financier.
Corinne Lepage opère un renversement théorique certain. Néanmoins, loin de suggérer un changement profond et un dépassement du débat croissance/décroissance, elle propose une réponse purement technicienne : l’environnement, envisagé seulement comme une ressource, reste une contrainte du fait de son caractère limité.
Les propositions de Corinne Lepage continuent à s’inscrire dans une approche des problèmes environnementaux devenue classique en Europe depuis le début des années 1990 1, approche qui, avec le développement durable que l’auteur prétend dépasser, considère que l’élaboration de règles du développement, le respect du principe de précaution, peuvent permettre d’élaborer une pratique écologiquement et socialement responsable de la vie économique. Bref il s’agit d’introduire une certaine dose d’éthique dans les pratiques économiques et environnementales, sans toutefois remettre en cause fondamentalement les rapports des hommes entre eux et avec leur environnement.
Or l’éthique environnementale (voir glossaire), un champ de recherche universitaire important aux Etats-Unis et relativement méconnu en Europe, postule que l’établissement d’une véritable morale écologique doit interroger ce rapport, tel qu’il a été pensé par la tradition philosophique, scientifique et religieuse occidentale. Ainsi la morale écologique n’est en aucune manière une forme d’éthique appliquée à l’environnement (comme on pourrait imaginer une « éthique des affaires »…), mais au contraire une tentative d’édification d’une « méta-éthique » visant à soumettre à l’analyse critique l’ensemble des présupposés en cours dans les rapports sociaux, économiques et dans la relation de l’homme à la nature.
En faisant de la nature une fin et non un moyen, l’éthique environnementale pose que nous avons encore des devoirs au-delà de nos préoccupations humaines et permet l’établissement d’une méta-éthique. Contrairement à un reproche qui lui est souvent adressé, cette méta-éthique ne commet pas l’erreur de plaider pour un quelconque égalitarisme normatif (l’homme individuel ne peut en aucun cas être sacrifié au tout biologique, en effet l’existence d’une pluralité de valeurs n’exclut pas leur hiérarchie) 2. Elle permet précisément de repenser la vie de la cité en intégrant l’environnement naturel. Un projet politique cohérent ne concerne pas seulement les relations des hommes entre eux mais ces mêmes relations dans leur rapport à l’environnement.
Il est remarquable que Corinne Lepage mette sur le même plan les drames climatiques et les menaces économiques. Elle regrette en effet que les sommets sur le climat ou la refondation du système financier ne donnent aucun résultat, réduisant le problème à une question de gouvernance. Bref les réponses qu’elle entrevoit restent purement cosmétiques. Elle n’envisage en effet pas de remettre en cause l’existence même du système financier ou l’organisation capitaliste du système économique.
Pourtant, l’ampleur de la crise morale et environnementale exige une remise en question radicale du système économique. Pour le philosophe et théoricien de l’écologie politique André Gorz, l’écologie n’a toute sa charge critique et éthique que si les dévastations de l’environnement sont comprises comme les conséquences d’un mode de production qui exige la création de besoins superflus toujours plus importants, la maximisation des rendements et le recours à des moyens techniques qui violent les équilibres biologiques. Selon André Gorz, en partant de la critique du capitalisme, on arrive immanquablement à l’écologie politique qui, avec son indispensable théorie critique des besoins, conduit en retour à approfondir et radicaliser encore la critique du capitalisme.
Les propositions de Corinne Lepage, sous couvert d’une correction des dérives du système économique et d’une prétendue refondation radicale de notre rapport à l’environnement, ne font qu’apporter de légers correctifs à un système de production et de consommation largement responsable des désastres environnementaux auxquels nous devons faire face aujourd’hui.
Notes et références