Et si une grande partie de la nébulosité à laquelle beaucoup associent la décroissance tenait à un excès de généralité ?
Certes une définition consensuelle semble enfin émerger, définition qui ne se contente pas d’appeler à stopper la croissance mais qui envisage bien un reflux démocratique de (la domination de) l’économie sur la vie sociale 1. Ainsi, Timothée Parrique a raison de mettre en avant les 3 aspects de la décroissance : la décrue (économique), la décolonisation (idéologique) et l’utopie (politique).
La question est alors de retrouver ces 3 aspects non pas tant dans une critique générale que dans ce que nous pouvons appeler des « déclinaisons » de la décroissance, c’est-à-dire tout une série de façons, de manières concrètes, de décroître.
Ce terme de « déclinaison » n’est pas anodin car il est historiquement et intellectuellement déjà plein d’une tradition tout à fait honorable :
- Quand le traducteur de Georgescu-Roegen, Jean Grinevald, choisit en 1979 le terme de « décroissance », c’est pour traduire le terme de « decline » 2.
- Étymologiquement, les termes de « déclin » et de « déclinaison » proviennent d’une racine indo-européenne *klei qui signifie « pencher » (et qui donne aussi « climat » ou « clinique »). La déclinaison est une « pente ».
- Dans l’Épicurisme – dont la morale du présent fait d’Épicure un précurseur de la décroissance – la déclinaison (parenklisis, clinamen) est cette petite déviation qui permet aux éléments déterminés de s’entrechoquer. Et c’est Lucrèce qui dans le De natura rerum va jusqu’à faire de ce clinamen, de la déclinaison, la source de la liberté et de la volonté. Quand la décroissance est déclinaison, elle est volontaire 3.
- Et n’oublions pas de citer George Pérec : « Nous avons un mot pour la liberté, qui s’appelle le clinamen, qui est la variation que l’on fait subir à une contrainte… « . Et c’est ainsi que l’Oulipo (« la littérature sous contraintes« ), qui a tant exploré les richesses de la liberté dans les autolimitations peut apparaître comme un précurseur de la décroissance : l’intelligence de la physique et la volonté de la pataphysique .
- Grammaticalement, une déclinaison est une manière de rendre compte des cas.
Les déclinaisons de la décroissance sont donc des variations de la volonté, suivant les cas.
Peut alors commencer un inventaire de ces cas, de ces déclinaisons de la décroissance.
En faisant d’emblée remarquer que pour chacune de ces déclinaisons existent déjà des associations qui s’y engagent et que l’un des objectifs de la MCD va être de les contacter, une à une, pour qu’elles viennent enrichir un commun idéologique.
En voici tout une liste, incomplète : atténuation, autolimitation, cessation, contre-exode, décolonisation, déconnexion, décrue, démantèlement, démarchandisations, démobilité, démondialisation, démétropolisation, désaccoutumance, désincitation, écoféminisation, moratoire, partage, plafonnement, ralentissement, rationnement, relocalisation, ré-enpaysannement, ré-ensauvagement, récession, réduction,réparation, sevrage, sobriété, sortie du nucléaire et de son monde…
Tout un programme de mises en situation concrète de la décroissance. En effet !
---------------Notes et références
- Dans sa thèse, Timothée Parrique écrit explicitement : « My choice was to interpret degrowth as a general process of de-economisation, that is the reduction in importance of economistic thoughts and practices in society« , page 315.[↩]
- Entropia, n°1, page 187.[↩]
- Le rôle de la déclinaison dans la sagesse épicurienne, c’est celui de la volonté dans un univers déterminé ; c’est exactement celui de la décroissance : organiser volontairement et démocratiquement le retour dans les limites écologiques.[↩]
Pour compléter la liste des déclinaisons (pentes ?), je rajouterais « régression » dans le sens Ericksonnien, comme pour que nous puissions nous rappeler du moment où notre comportement est devenu excessif. Ce qui fait penser au contraire de l’excès, c’est à dire la modération (qui peut encore compléter la liste). Quand réussirons-nous à cesser de tourner autour du pot.
En attendons, déclinons les propositions qui aggravent la situation (genre « course en avant ») !