La crise économique Covid-19 est une récession

Nous vivons un grand basculement de la société mondiale, avec la crise sanitaire mondiale du covid 19. Est-ce les premières étapes d’un effondrement lent et continu, ou simplement une phase de grave récession économique, nul ne le sait. Aussi, on entend des journalistes, des chercheurs libéraux, ou des hommes politiques critiquer la situation actuelle, qui serait décroissante. Par exemple, Nicolas Bouzou a rédigé un article intitulé « Misère de la décroissance »  dans l’Express du 3 mai 2020. Or, la situation actuelle, ce n’est pas la décroissance, mais la récession. Donc, pour ses détracteurs, la décroissance ne serait pas vraiment enviable, car elle engendrerait notamment une croissance du chômage et de la pauvreté. Certains décroissants, se situant politiquement dans le courant néolibéral (à droite), sans parfois même le savoir et crient parfois « Vive l’austérité ! ». C’était le cas d’un des numéros du mensuel « La Décroissance ». D’autres décroissants crient aussi « Vive la récession ! » Comme s’il s’agissait d’une politique de décroissance. Or, c’est en réalité une récession, donc une décroissance économique involontaire. Tandis que la décroissance s’avère en quelque sorte une récession volontaire.

La relocalisation écologique et solidaire figure parmi l’une des formes de la décroissance volontaire. Or, de nombreux citoyens, chercheurs, élus, militants, ou personnalités, tel Nicolas Hulot revendiquent la relocalisation comme une priorité urgente et importante à présent. Ainsi, le 6 mai 2020, avec sa fondation, Nicolas Hulot à présenté  100 principes pour se réorienter vers un nouveau monde et 5 principales propositions, dont l’urgence de «  la relocalisation d’une partie de l’économie », en France et en Europe. Par exemple, « Aujourd’hui en Europe, tous les marchés publics sont ouverts à tous, quel que soit le lieu de production. Il est donc nécessaire de mettre en place un “Buy sustainable act” pour que les bus, métros européens, repas servis en restauration collective… soient tous produits en France ou en Europe et de manière durable » propose la fondation Hulot.

Par ailleurs, l’économiste Gaël Giraud se révèle favorable à plus de protectionnisme. « Provoquerait-il une hausse du coût de la vie (en renchérissant les produits importés)? Rien n’est moins sûr. Il rendrait enfin possible le rattrapage salarial qui nous fait cruellement défaut, en Allemagne comme dans le reste de l’Europe – condition nécessaire pour rendre une transition verte économiquement rentable. Car aujourd’hui, ce que nous gagnons comme consommateurs en achetant des biens bon marché produits hors d’Europe, nous le perdons, comme salariés, du fait de la compression des salaires » 1.

La crise sanitaire de 2020 s’annonce risque de générer une profonde récession économique. La crise financière de 2008 a généré une récession économique en particulier en Europe, ou une croissance quasi nulle. Cette crise a été engendrée principalement par l’éclatement de la bulle spéculative immobilière et le trop grand endettement des États sur des marchés financiers privés. Pour y remédier, la majorité des gouvernements européens mène des politiques d’austérité de nature néo-libérale. Cela s’explique notamment par les pressions économiques et politiques exercées par leurs créanciers, telles les banques privées détentrices des dettes d’État. Dans ce cas, l’austérité profite surtout aux plus riches créanciers de ces dettes et non aux plus pauvres, qui voient les budgets sociaux s’amenuiser fortement.

L’austérité néolibérale se révèle donc très proche d’une décroissance de droite. C’est-à-dire une décroissance capitaliste néo-libérale consistant à contraindre les plus pauvres à décroître, afin que les plus riches puissent continuer à croître plus longtemps.

La décroissance néolibérale est volontaire, tandis que la récession est une décroissance involontaire. Cependant, une politique d’austérité néolibérale conduit à une décroissance volontaire au détriment des plus pauvres.

 

Récession (donc involontaire)

Décroissance (donc volontaire)
Néolibérale (Droite) Décroissance involontaire au détriment de quasi tous, accompagnée d’une politique d’austérité volontaire Décroissance volontaire et libérale (au détriment des plus pauvres)
Pro-sociale (Gauche) Décroissance involontaire au détriment des plus riches prioritairement Décroissance volontaire et pro-sociale (débutant par les plus riches)

Par contre, un gouvernement pro-social qui subit une récession économique s’inscrit dans une décroissance involontaire, donc au détriment de tous, les plus riches comme les plus pauvres. A l’inverse, la décroissance de gauche, c’est-à-dire la décroissance menée par un gouvernement pro-social consiste à décider volontairement d’une décroissance de la production et de la consommation des ressources non renouvelables prioritairement, s’exerçant d’abord sur les plus riches. Les plus pauvres disposant du droit légitime de croître jusqu’à satisfaire leurs besoins essentiels, puis de continuer jusqu’au niveau de l’empreinte écologique soutenable, voir plus en fonction des choix politiques.

On entend souvent dire que parler de la « gauche » et la « droite », cela n’a plus de sens, car rien ne les différencie vraiment. En effet, depuis 1981 en particulier, les partis qui ont gouverné la France notamment et qui se revendiquent de gauche, tel le Parti socialiste, ou de droite, tels les républicains mènent souvent des politiques très proches. Il est vrai que la frontière entre leurs politiques, si elle n’est pas identique, se révèle parfois floue et assez ténue. Cependant, un indicateur économique central permet clairement de différencier une politique de droite et de gauche, il s’agit de la redistribution des richesses. Ainsi, une politique de gauche, c’est-à-dire pro-sociale consiste à défendre prioritairement les valeurs d’égalité, donc pour cela à redistribuer les richesses. Tandis qu’une politique de droite, c’est-à-dire néolibérale visera l’inverse, au nom de la liberté, donc du droit à « être » différent, donc à « être » inégal. Les partis qui se proclament de gauche, pro-social et socialiste et qui n’appliquent pas une redistribution suffisante abusent donc leurs électeurs et surtout les plus pauvres.

Une politique d’austérité menée par un gouvernement pro-social (de gauche) peut être entreprise lorsque la dette de l’État est trop grande, ou lorsque l’inflation des prix est trop forte. Pour un gouvernement, afin de diminuer la dette de l’Etat, une politique libérale consistera généralement décider de diminuer son budget, d’où l’austérité, liée à des coupes dans les budgets sociaux, par exemple.

A l’inverse, face à une dette trop grande, un politique keynésienne (donc plutôt de gauche) consistera généralement à relancer l’économie, en initiant de grand projet d’investissement (bâtiments, infrastructures de transports…). Dans cette même veine, l’économiste écologiste Gaël Giraud propose ainsi de lancer de grands investissements publics, afin de créer des emplois dans le secteur de l’écologie : isolations, énergies renouvelables… Il entend financer ces investissements par des emprunts aux banques publiques (et non privée) généré par la création monétaire publique, qui ne coûte rien à l’Etat (puisqu’il se rembourse lui-même). C’est donc très différent des emprunts de l’Etat réalisé sur les marchés financiers privés, comme cela se pratique depuis les années 1973, 1975 2 en France notamment. Cela enrichit les banquiers privés et tend à creuser la dette. Ainsi, une politique de relance keynésienne, va créer de l’emploi, donc de la consommation, donc à nouveau de l’emploi, dans le cadre d’un cercle vertueux. Ainsi, de plus grandes rentrées fiscales dans les caisses de l’Etat, lui permettent de rembourser sa dette auprès des banques publiques. Cependant, à la différence des écologistes, les décroissants se méfient souvent des politiques de relance, car elle conduit à la croissance et au productivisme.

L’austérité de gauche est proche d’une décroissance de gauche, mais relativement différente. Une politique d’austérité est rarement menée par des gouvernements pro-sociaux, lorsque la dette est excessive. Pourtant, le Parti « socialiste » mène une politique sociale – libérale, voire néolibérale d’austérité sous la présidence d’Hollande depuis 2012. Habituellement, un véritable gouvernement pro-social ne mène des politiques d’austérité, que dans les périodes d’inflation excessive, car elle génère une baisse du pouvoir d’achat, en particulier pour les plus pauvres. En effet, les salaires s’élèvent rarement aussi vite que les prix. Contre l’inflation, une politique néolibérale consistera à augmenter les taux d’intérêts, ce qui va diminuer la possibilité des emprunts, donc des investissements, donc de l’offre, mais aussi de la demande. Cela abaisse donc les prix et l’inflation. Cependant, c’est surtout les créanciers, qui sont généralement les plus riches, à qui cela profite le plus, car ils sont alors mieux rémunérés, lorsqu’ils prêtent leur argent. Keynes les traitait d’ailleurs de « parasites » de la société, puisqu’ils s’enrichissent sans produire directement.

Afin de juguler l’excès inflationniste, l’austérité de gauche peut donc consister aussi à rehausser les taux d’intérêt. Par contre, l’austérité de gauche visera à augmenter en même temps les impôts des plus riches, sans accroître les taxes sur les plus pauvres, ce qui diffère d’une politique néolibérale. Mais une La décroissance solidaire ou une décroissance de gauche ira plus loin qu’une austérité de gauche, puisqu’en plus de limiter l’inflation, elle diminuera volontairement la production économique globale, jusqu’au niveau d’une empreinte écologique soutenable, notamment afin de préserver les ressources non renouvelables et de les partager. La solidarité s’exerce alors prioritairement par le partage du travail et la redistribution des richesses financières et des ressources. Alors que l’austérité menée par un gouvernement pro-social non décroissant consiste au contraire à rechercher la croissance et le productivisme pour créer des emplois et des richesses, afin de rembourser la dette, mais en veillant néanmoins à ne pas créer une inflation trop forte non plus.

En résumé, il y a donc deux situations principales, qui poussent les gouvernements à mener des politiques  d’austérité : une dette trop grande ou une inflation trop forte. Face à une dette mettant en péril l’équilibre du budget de la nation, un gouvernement pro-social non écologiste mènera une politique de relance des investissements, pour favoriser la croissance, augmenter les rentrées fiscales et donc rembourser la dette. Un gouvernement écologiste pro-social, fera de même, mais en ce centrant principalement sur des investissements écologiques. Tandis qu’un gouvernement décroissant pro-social choisira prioritairement non pas de relancer la croissance, mais de partager le travail et de redistribuer les richesses, afin de ne pas accroître l’empreinte écologique. Par contre, une politique néolibérale augmentera les impôts, diminuera le budget de l’Etat et surtout les budgets sociaux. Une politique décroissante néolibérale suivra la même méthode en vue de préserver la planète, mais aussi les plus riches !

Dans le cas d’une inflation trop forte une politique néolibérale viser à augmenter les taux d’intérêt au détriment de l’emploi, donc des chômeurs notamment. Un gouvernement pro-social fera de même, mais redistribuera en plus les richesses, vers les chômeurs et les plus pauvres, afin d’éviter qu’ils ne soient trop pénalisés par la hausse des taux d’intérêt. Tandis, qu’une politique sociale et décroissante sera identique à une politique pro-sociale, à la fois pour limiter l’inflation afin de ne pas pénaliser les chômeurs, mais aussi pour limiter l’empreinte écologique.

Par Thierry Brugvin, sociologue

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Notes et références
  1. GIRAUD Gaël, « Plaidoyer pour un protectionnisme européen », Revue Projet, 2011/2 (n° 321), p.79-87.[]
  2. GIRAUD Gaël, L’illusion financière, Éditions de l’Atelier, 2014.[]
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