Nous reprenons un article de notre ami Claude Le Guerrannic qu’il vient de publier dans le premier numéro (février-mars 2025) d’un petit journal qu’il vient de lancer : Un Courrier Cordais. Comment ne pas penser en lisant la dernière phrase à ce titre de Léon Bloy : Le sang du pauvre, c’est l’argent ?

« Ce ne sont pas les illusions à la Balzac qui concernent les individus en particulier dont il est question ici mais les illusions d’une société dans son ensemble, » « quoi que… »
Illusion autour d’un progrès technologique illimité et tout azimut que rien ne pourrait arrêter. Comme si ce progrès n’était que bénéfice pour l’humanité. Cependant les catastrophes en série que ce soi-disant progrès provoque, sautent de plus en plus aux yeux de tous. Ces catastrophes sont climatiques, environnementales, guerrières, humanitaires et même sociales, aujourd’hui il n’est plus permis d’en douter, les preuves et les constats s’accumulent. Les innovations du début du siècle sont concentrées autour de l’industrie numérique avec pour dernier développement l’intelligence artificielle, ce qui conduit notre société tout droit vers l’enfer, ce dont la jeunesse n’a certainement pas conscience. L’addiction qu’une connexion presque permanente chez les jeunes entraîne annihile tout recul et discernement et entretient l’illusion d’un monde rêvé et sans alternative. Le livre de Fabien Lebrun « Barbarie numérique » aux Éditions de l’Échappée, nous offre un tout autre regard, beaucoup plus sombre et réaliste grâce à sa scrupuleuse enquête, il invite à réagir vite, avant que le navire ne sombre complètement. L’industrie numérique est tout sauf virtuelle, Fabien Lebrun qui détaille les trafics en tout genre de l’exploitation minière au Congo est là pour nous le rappeler.
L’auteur trace l’histoire du Congo à partir des premiers convois esclavagistes vers l’Amérique au 16ème siècle, et la poursuit jusqu’à nos jours. Pourquoi le Congo, précisément parce qu’il se situe sur un territoire que d’aucuns considèrent comme un véritable scandale géologique, tellement il est riche en ressources de toute nature : végétales (le caoutchouc et le bois), hydrocarbures (pétrole) et surtout minerais (coltan, cobalt, germanium, cuivre et diamant). Le Congo détient près de 80 % des réserves mondiales de cobalt à lui seul !

Des enfants dans les mines du Congo
Ces différents minerais entrent tous dans la composition de tout ce qui se fabrique dans le monde, que ce soit dans l’industrie, la pharmacologie, l’aéronautique, le spatial, la communication et le numérique. Le Congo est un concentré de guerres meurtrières pour l’acquisition de ces ressources, cela donne une idée de ce qui peut se passer partout dans le monde où une ressource quelle qu’elle soit attirera la convoitise, comme l’eau par exemple.
Minerai de cuivre
Les guerres coloniales actuelles (Ukraine, Palestine, Congo) et celles qui menacent par l’entremise de la nouvelle administration américaine ont toutes pour motif souvent caché la main mise sur les ressources. Ce sont des guerres engendrées par le capitaliste mondial. Derrière chaque guerre cherchez l’intérêt, le profit qui s’y cache.
Ces guerres, aux alliances changeantes s’expliquent par la volonté de s’accaparer la jouissance de ces ressources minières indispensables à nos smartphones, ordinateurs, GPS, aux satellites et autres engins de l’exploration spatiale. Sans ces précieux métaux, tous nos gadgets connectés ne pourraient pas fonctionner. Pourtant, aucun des dirigeants politiques et encore moins économiques de la planète ne font allusion à la fin inéluctable de ces ressources. Certains de ces métaux précieux seront remplacés par d’autres, mais la tension autour de l’approvisionnement ira en augmentant, fatalement. On ne veut pas savoir, qu’il s’agisse du modeste utilisateur de téléphone portable aux plus grands décideurs, personne ne veut savoir. On ferme les yeux sur les conditions de travail de ces fameux creuseurs du Congo. On entretient l’illusion de ressources sans limites, on entretient l’illusion par la mise en œuvre d’un développement durable c’est à dire de la poursuite du saccage de la planète par des moyens que l’on croit plus vert.
En attendant qui fait tourner cette machine infernale ? Et bien nous tous, des milliardaires véreux et criminels aux populations désinformées tout en bas de l’échelle sociale, les milliardaires en spéculant et en cherchant toujours davantage de profits par l’exploitation de la misère humaine, les États par une surveillance généralisée et en imposant une numérisation de la moindre de nos démarches administratives, mais aussi chacun de nous par une consommation effrénée du moindre objet connecté.
Pourtant nous, consommateurs lambda, avons le pouvoir énorme d’influer sur les choix sociétaux par nos achats et nos pratiques, mais nous ne l’utilisons pas la plupart du temps parce que nous sommes pris par une sorte d’addiction. Une curiosité naturelle nous pousse à aller vers le nouveau, le « jamais vu », le « jamais fait » le « toujours plus » sans en mesurer à aucun moment les conséquences, ce que les fabricants, les commerciaux s’échinent à nous cacher le plus soigneusement du monde. Nous cédons au miroir aux alouettes comme des enfants qui n’ont pas encore appris le discernement.
Des chercheurs sincères et honnêtes tentent de nous alerter, de nous donner l’information qui nous manque, mais comme l’avait si bien dit Jacques Chirac à Johannesburg, le monde brûle et nous regardons ailleurs. Ce qui, soit dit en passant, ne l’empêcha pas de poursuivre une politique si peu écologique ! Les belles promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Extrait du livre de Fabien Lebrun :
« Au Congo, les mineurs sont dénommés creuseurs, du fait d’une extraction manuelle dite « artisanale » : « Le creuseur semble incarner le Congolais du XXIe siècle, l’homme de la débrouille individuelle, celui qui affronte la crise ne comptant que sur ses propres forces. » Des carrières désaffectées ou délaissées par les investisseurs, ils creusent pour leur compte, équipés d’une pelle et d’une pioche, dotés au mieux de bottes, sinon pieds nus ou chaussés de tongs. Les creuseurs sont d’anciens ouvriers qualifiés, techniciens spécialisés ou enseignants. Ils ont quitté le commerce et l’agriculture avec des conséquences dramatiques : « La population katangaise creuse, exploite et juge ingrat le travail de la terre, ce qui provoque des pénuries de nourriture dans les cités minières et une explosion de la malnutrition. » page 297 plus loin : on estime le nombre de creuseurs au Congo à 2 millions.
Sans creuseurs et les mines du Congo la Tesla n’existe pas. Nos smartphones sont tachés de sang mais nous ne le savons pas.
Claude Le Guerrannic