Résumé-synthèse de la présentation de Luc Chicoine au colloque de l’ACFAS intitulé : La décroissance et la question du « comment ? », le 12 mai 2023, à Montréal (canada).
Le but principal de ma présentation à ce colloque, une première incursion pour moi dans le monde de la recherche en lien avec la décroissance, était de proposer d’intégrer la notion de « puissance », centrale dans la réflexion classique en science politique, à la réflexion sur les causes de la décroissance. Ce constat est utile afin de proposer une utopie post-croissance reposant sur des arguments différents de ceux que l’on croise généralement. Notez bien que ce travail de réflexion est encore embryonnaire et j’entends le développer plus avant dans les prochains mois.
Le premier volet de ma présentation consistait à rappeler comment les États sont contraints d’augmenter constamment leur puissance afin de se protéger des velléités des autres États avec lesquels ils ont en compétition. Cette organisation brutale des relations entre les États est généralement appelée « l’ordre international anarchique ». Il est dit « anarchique » car aucune autorité n’est suffisamment puissante pour imposer et faire respecter les lois entre les États. Cet ordre anarchique génère le dilemme de sécurité et qui est généralement formulé ainsi : un État qui augmente sa propre sécurité diminue mécaniquement celle des autres. Il en résulte une course à la puissance (comprendre principalement, à l’armement) constante et infinie. Bien que la puissance puisse reposer sur différents piliers (économiques, militaires, technologiques ou culturels), la croissance économique est nécessairement au cœur de la course à la puissance, soit afin de financer une vaste armée bien équipée ou par une défense assurée par un réseau d’alliances militaires financées à grands frais.
Aussi, bien que nous n’en soyons qu’assez peu conscients, l’état de guerre est quasi-constant : l’histoire du dernier siècle, incluant les années récentes, est jonchée d’un nombre presque incalculable de conflits armés incluant les guerres civiles auxquelles prennent presque toujours part les grandes alliances militaires. L’impression habituelle de paix est une douce illusion qui nous conforte mais qui nous voile une réelle compréhension de ce que sont réellement les États. Les rares moments sans conflits servent à préparer la prochaine guerre.
Ainsi, l’État qui voudrait décroître son économie serait au prise avec un grave problème : il ne serait probablement plus en mesure de soutenir la course à la puissance et serait, ultimement, envahi ou pillé par des traités commerciaux inéquitable. Si cet État possédait l’arme nucléaire, il serait probablement contraint d’agir à l’image de la Corée du Nord, brandissant constamment la menace nucléaire afin de préserver sa souveraineté.
Je concluais cette partie avec deux constats et une question incontournable :
- La croissance infinie est générée par l’anarchie du système international, et non par le capitalisme, celui-ci n’étant qu’un moyen (parmi d’autres possibles) de soutenir la course à la puissance.
- Le pacifisme est une condition nécessaire de la décroissance.
- Comment peut-on se sortir de l’anarchie du système international afin de prévenir la catastrophe climatique durablement ?
Le second volet de ma présentation traitait de certains aspects de la violence intra-étatique comme moteur de la croissance, particulièrement dans un contexte politique instable ou suite à la prise de pouvoir d’un État par un gouvernement décroissantiste.
Premièrement, je rappelais comment la puissance, reposant sur la croissance économique, fait partie de ce que l’on appelle : la raison d’État. Cette « raison » n’a rien à faire de nos libertés individuelles ou de la démocratie. Toute menace de réussite significative du mouvement décroissantiste, dans notre monde, serait nécessairement confrontée à une répression hors norme, au nom justement de l’intérêt supérieur de l’État. Le romantisme de certains récits d’objecteurs de croissances ne semble pas bien équipé à affronter la cruelle réalité du « monopole de la violence légitime » lorsque celle-ci se déchaînera sur nos compagnons.
Dans un autre ordre d’idée, je soulignais ensuite comment un chef d’État qui prendrait le pouvoir avec un programme de décroissance serait confronté à des difficultés qui lui rendraient difficile la réalisation de ses réformes. Il y aurait tout d’abord les problèmes liés à la « contre-révolution », bref aux forces qui contesteraient de toutes leur force ce nouveau Léviathan, allant potentiellement jusqu’à fomenter une guerre civile. De l’autre côté, les militants décroissantistes seraient probablement rapidement désenchantés par la lenteur des réformes du nouvel homme fort, et risqueraient forts d’augmenter leur mobilisation afin de le forcer à tenir ses promesses. Ce scénario est classique lors d’un important changement de régime, que ce soit après la révolution française, dans la Russie de 1917 ou en Égypte il y a une décennie, mais il devient encore plus critique dans une optique de décroissance car il créerait un quasi-irrésistible appel à la puissance, et donc à la croissance.
Je concluais cette section avec un constat et une question incontournable :
- La conservation du pouvoir, tout comme la violence politique intra-étatique, sont d’importants moteurs à la croissance qu’on peine trop souvent à distinguer, particulièrement dans nos démocraties.
- Comment peut-on décroître et s’assurer de la conservation du pouvoir politique?
La deuxième partie de ma présentation, présentée dans un document subséquent, tentait de répondre aux deux questions incontournables soulevées ici. Ce n’est pas un défi facile, mais l’utopie post-croissance qui en émerge – effaçant autant la pauvreté, les guerres et les déséquilibres écologiques de la planète – se veut à la fois imminent, stable et désirable !
Luc Chicoine
Bonjour Luc,
ton intervention lors de ces (F)estives et rencontres de la décroisssance 2023 à Cologne m’a beaucoup interpellée.
Je relis son contenu et l’assimile lentement. Merci pour ta présence toute singulière, non-formatée ni dogmatique. Je reviendrais vers toi avec d’autres questions si possible. Amicalement, Véni
Bonjour Véni,
Merci vivement pour les compliments! J’étais très content de ta présence également: tu ajoutais une épice qui aurait fait défaut au couscous autrement! Je te transmet mes coordonnées, restons en contact! Luc