Le monde qui s’installe n’a rien d’une utopie, c’est un cauchemar

Tribune publiée le 27 mars 2020 dans une version légèrement modifiée, sur le site Reporterre.

A ce jour, les politiques menées contre la pandémie suscitent plus de sidération que d’indignation. Peut-il en être autrement quand le moindre calcul sur les effets à prévoir est tellement en contradiction avec les faux-fuyants et les bégaiements des discours officiels, pourtant tenus sur un ton de plus en plus martial : quand on entend que le virus pourrait contaminer jusqu’à 50 % de la population avec un taux minimal de létalité de 0,3 %, cela fait quand même pour la France près de 100 000 morts, c’est-à-dire environ 1000 morts/jour pendant 3 mois.

A ce jour, une analyse superficiellement écologiste pourrait même trouver dans cette pandémie des raisons d’espérer : réduction des transports inutiles (tout particulièrement aériens), prévision d’un ralentissement de la croissance et donc prévision d’une baisse des pollutions (par exemple, la chute de l’activité en Chine a diminué en février les émissions de gaz à effet de serre de l’équivalent de la production annuelle des Pays-Bas)…

A ce jour, une analyse superficiellement critique pourrait même se réjouir que le confinement va donner à chacun le temps et l’occasion de se poser la question du sens réel de la vie qualifiée « auparavant » d’ordinaire, au point peut-être de se mettre à espérer déboucher sur une critique réveillée du consumérisme quotidien : rien de plus bizarre aujourd’hui que de consacrer quelques minutes à regarder des publicités télévisées dont les contenus si peu « essentiels »  sont si évidemment en décalage avec la situation vécue.

A ce jour, on pourrait même croire, à écouter par exemple Sibeth Ndiaye évoquer « un changement de paradigme », que ces temps de crise sont en train de fournir la preuve « par le fait » qu’un changement de cap est possible. Mais quand le premier exemple concret qu’elle fournit est celui d’une relocalisation de l’industrie automobile des pièces détachées, comment ne pas penser qu’on part de très loin… et qu’aucun horizon d’utopie ne semble en réalité se profiler.

Tout au contraire, ce qui vient ce n’est ni l’insurrection ni la grève générale, c’est une dystopie. Au 19° siècle, les socialistes les plus utopiques voyaient dans les expérimentations minoritaires les semences de la transformation sociale.

A ce jour, ce qui est en train de se passer c’est une expérimentation ni minoritaire, ni majoritaire, mais totalitaire, dans laquelle la fin affichée – « sauver des vies » – justifie tous les moyens. Quand on se souvient à quel point dans les temps précédents le gouvernement français a déjà fait preuve d’insensibilité, on peut s’attendre à ce que la suite lui donnera tout le temps d’accentuer sa violence économique, sociale et politique.

A ce jour, c’est la dystopie économique qui vient : trop tard pour réviser une politique antérieure (RGPP) qui aujourd’hui – par faute de moyens – détermine directement une stratégie d’improvisation : au lieu de « dépister et traiter » massivement, une gestion des flux par étalement (en plateau) de l’épidémie pour ajuster les malades aux lits, au lieu de l’inverse. C’est même l’occasion, sinon l’aubaine, pour accélérer les processus de dématérialisation des activités : télétravail, téléconsultation, la culture en 1 clic, la web-école… Que penser d’une société qui maintient le « travail » tout en interdisant de partir en vacances ?

Drone policier niçois pour rappeler à l’ordre du confinement les « contrevenants »

A ce jour c’est la dystopie sociale qui s’installe sous le nom de « distanciation sociale », car pour le dire moins hypocritement, c’est d’isolement individuel qu’il s’agit. Et en traitant aujourd’hui d’« imbéciles » les réfractaires au confinement, Castaner continue dans cette logique sociocidaire de la réduction de toute responsabilité à sa seule dimension individuelle que toutes les réformes récentes du gouvernement tentent d’imposer : de la réforme des retraites à celle des lycées, en passant par l’assurance-chômage… Que penser surtout d’une société qui ne semble capable de penser le confinement que sur le modèle de l’emprisonnement (il va sans dire que c’est évidemment dans les lieux d’enfermement que les situations sont les plus inhumaines : prisons, EPHAD…) ?

A ce jour c’est la dystopie politique qui se renforce quand se multiplient ces listes qui inventorient les lieux, déplacements, activités, comportements autorisés : tout ce qui n’est pas permis devient interdit. Que penser d’une société dans laquelle cette inversion du permis et de l’interdit semble ne susciter aucun débat public ?

Et après ?

Bien loin des scénarios d’effondrement ou de décroissance choisie, comment ne pas constater qu’après 2001, 2008, chaque crise a été l’occasion d’une accélération des formes les moins humanistes de la vie en commun ? How dare you ? Mais « ils » oseront et « nous » que ferons-nous ?

Après la crise, viendra le temps des factures. Qui peut croire qu’un seul gouvernement dans le monde en profitera pour imposer un prélèvement sur les plus grandes fortunes ? Par exemple, de façon « exceptionnelle », sur 5 ans, un prélèvement de 20 % sur les patrimoines au-delà de 1 milliard d’euros : faisons au moins le calcul, histoire de rêver.

Mais qui peut croire qu’à l’occasion de la pandémie, c’est l’utopie qui viendra ? Et pourtant nous devons l’espérer.

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5 commentaires

  1. Taratantaras

    Michel Denisot est loin d’être mort
    Les platanes’ sont las des excès d’vitesse
    On réduit la dose’, pas de mauvais sort
    80 kilo-mètres’ heure’ dans ta caisse
    Tu t’radines’ tranquille’ sans aucune’ pression
    Les flics sont sympas ! T’as jamais vu ça
    Y’a même’ un tracteur qui chicane en rond
    Point de carrefour donne son colza
    Chapeau bas l’artiste tu te pose à terre
    Tu fais pause aussi dans ta vie meurtrie
    Tu repenses enfin à tout c’qui t’est chère
    Finie vive allure vive la modestie
    Tu vis doucement dans ce confin’ment
    Cette’ situation t’apporte’ ton repas
    De belles racines offertes’ simplement
    Rutabagas et taratantaras.

    26 mars 2020

  2. NB : j’aurais aimé avoir l’avis de mon ancien prof de philo sur ce que la situation actuelle et la façon dont elle est gérée dit de notre rapport à la mort, eu égard notamment à la différence de traitement entre le décès de quelques milliers d’occidentaux, en grande majorité âgés et / ou malades, vs les millions de personnes plus jeunes qui vivent et meurent chaque année ailleurs dans le monde

  3. Je partage le constat, la façon dont cette « crise sanitaire » est gérée en dit long sur le fonctionnement de notre société. Et après? Sans doute rien ou pas grand-chose, on repart comme avant et cela tant qu’il y aura une goutte de pétrole pour alimenter le bal des producteurs-consommateurs : show must go on !

  4. Salut Michel,
    Nous avons un peu de temps pour réfléchir à ce qui se passe et pour préparer la construction d’un autre monde. Il ne s’agit plus de corriger simplement quelques fautes d’orthographes dans une copie médiocre, il faut l’abandonner simplement et quoiqu’il en coûte.
    Cela va prendre du temps et il faudra s’armer de patience.
    La machinerie du système libéral est d’une puissance aveugle. Aveugle, elle est sans doute prête à toutes les barbaries pour ne rien lâcher car elle ne vise à rien en dehors de sa propre autoproduction.
    Si la crise sanitaire d’aujourd’hui révèle massivement la faillite de ce système et de nos sociétés, pour la première fois, cette crise sanitaire touche massivement toutes les populations mondiales. Elle montre l’impréparation du système, la faiblesse des Etats et du politique, ainsi que la vanité des instances internationales sensées porter haut l’intérêt général. Rien ne semblait de nature à faire vaciller le système, rien si ce n’est ce petit virus qui semble propre à désorganiser en profondeur toutes les dimensions de nos sociétés quelles qu’elles soient.

    Il est donc urgent de fonder un nouveau politique dès à présent. Certes nous avons des acquis théoriques des connaissances et des expérimentations mais il reste qu’un effort profond de renoncement à certaines certitudes d’hier reste à accomplir. Cela exige aussi, et ce n’est pas le plus facile, une prise de recul d’avec nos propres dogmatismes ou nos propres idéologies…
    Un monde plus simple, plus juste, plus solidaire est à envisager et à construire. Travail patient et long qui devra en premier lieu affirmer des principes nouveaux de respect de la vie, de respect d’autrui, de sobriété dans notre consommation, de respect de la nature et des générations futures.

    Principes politiques premiers et forts, garantis par les puissances publiques du local au global et par des économies orientées par les nouveaux idéaux de sobriété et de solidarité.

    Nous sommes devant une page blanche.
    Page à écrire et à vivre ensemble.

    Jean-Frédéric BAETA , 27 mars 2020

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